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Detail of contribution

Auteur: Emanuele FADDA

Titre:
La notion de ‘sentiment’ et la cognition langagière inconsciente


Abstract/Résumé: La renaissance actuelle du saussurisme passe d'abord pour la remise en cause de la terminologie héritée par la lecture du seul CLG selon une vulgata bien attestée chez les manuels. Il sera question alors de relativiser et replacer les mots (p. ex. signifiant/signifié) dont des générations de linguistes ont fait la base de leur formation, et aussi d'élargir le champ terminologique et le corpus à disposition. Cet examen qui pourra nous aider à déceler une dimension cognitive de la linguistique saussurienne, qui pourtant n'ira pas coïncider avec le mainstream du cognitivisme en philosophie de l'esprit. L'un des mots fondamentaux pour ce que nous intéresse est justement celui (généralement méconnu) de sentiment. Il se trouve dans les Cours (pas seulement dans ceux consacrées à la linguistique générale) et dans les notes saussuriennes. Il est présent dans le lexique d'Engler, qui pourtant se borne à renvoyer à d'autres lemmas (concret, conscience, réalité). On en a, à notre avis, deux acceptions. (1) D'un coté, il y a le sentiment du sujet parlant (le seul considéré par Engler), qui est la base cognitive de la morphologie : le parlant 'sent', p. ex., qui un mot donné est découpable dans (ceux qui le linguiste appellerait) des morphèmes d'une certaine façon, et on a là le fondement de ses opérations cognitives par rapport à la langue (qu'on peut ramener toutes au principe de l'analogie). (2) D'autre coté, il y a un sentiment du linguiste, qui 'sent' certains principes ou vérités (sans en avoir une démonstration) dans les questions très générales qui se rapportent à sa discipline, et se règle sur eux dans son enquête et ses jugements sur l'origine et la qualité de certaines formes. Les deux sentiments sont enfin un seul : il s'agit d'une « conscience inconsciente » (ou plutôt subconsciente ?), qui est typique du savoir linguistique, et par laquelle on sait bien qu'une forme est correcte ou pas, mais on pourrait pas expliquer pourquoi. Le linguiste, dans sa reconstruction de la morphologie d'une langue (p. ex le grec ancien), doit retrouver le sentiment de ceux qui la parlaient, et seul ce sentiment est la mesure des résultats de sa recherche. En général, on peut dire que, dans l'expression saussurienne 'sentiment de la langue', il faut entendre le génitif tout autant comme objectif et subjectif : c'est notre sentir par rapport à la langue, mais c'est aussi la langue, en tant qu'abstraction concrète, qui sent. La notion se révèle intéressant aussi en tant que base pour des comparaison avec d'autres auteurs, sur un plan plus étroitement linguistique (p. ex. avec Chomsky et son idée d'acceptabilité) ou bien plus général (p. ex. avec Peirce, qui emploie le même terme pour désigner un savoir pratique normatif qui dirige le comportement ordinaire).